Interview de Yannig Donius, délégué du syndicat CGT de l’usine Famar Lyon.
Quel est le rapport entre l’épidémie actuelle l’entreprise Famar ?
Les premiers essais de traitements à la chloroquine contre le Covid 19 sont encourageants. Or, Famar-Lyon est le seul site industriel français à fabriquer la Nivaquine, un médicament (à l’origine anti-paludique) fait à base de chloroquine. Elle est même la seule usine autorisée à délivrer le marché français en Nivaquine. Une deuxième molécule est à l’essai : l’Azithromycine. C’est un antibiotique prescrit contre les infections respiratoires, qui pourrait aussi être utile contre le Covid-19 (combiné avec l’hydroxychloroquine). Et là aussi, Famar-Lyon est fabriquant. Si notre entreprise ferme, qui fournira ces médicaments en France ?
Quelle est l’origine du redressement judiciaire de l’entreprise Famar ?
On est passé par plusieurs gros groupes pharmaceutiques privés (Rhône-Poulenc, Aventis) avant d’être vendu à Famar, sous-traitant. (…)
En 2018, les clients Sanofi et Merck (les plus importants) ont annoncé le non renouvellement des contrats avec le groupe affectant de manière importante l’activité de Famar Lyon à partir de 2020. Au même moment 4 banques grecques ont donné la gouvernance au fond d’investissement américain KKR. Début 2019, KKR devient l’actionnaire unique et missionne un nouveau PDG pour vendre à la découpe 11 des 12 sites du groupe. Famar Lyon étant le seul placé en redressement judiciaire. En gros, on se fait promener par les banques et les grands groupes.
On entend plusieurs voies défendre aujourd’hui l’entreprise (Wauquiez, Roussel…). Mais le combat contre la fermeture n’est pas nouveau ?
Notre syndicat CGT a fait plusieurs courriers dès avril 2019, avant même la procédure judiciaire, pour alerter l’État sur notre situation. Pour qu’il garantisse la pérennisation de notre activité. On avait manifesté plusieurs fois, vers les élus, vers Merck et Sanofi. On n’avait pas eu de soutien des élus à ce moment-là. Maintenant on entend Wauquiez [président LR de la Région Rhône-Alpes-Auvergne, NDLR] ou le député Roussel [député PCF, NDLR]… Mais on n’avait jamais eu de retour avant.
Et le gouvernement Macron qui prétend bien gérer la crise…
Le ministère de la santé non plus n’a fait aucun retour. Ils parlent tous de réindustrialiser le pays… mais ce ne sont que des mots.
On voit que toutes les décisions sur l’épidémie sont prises dans l’urgence. C’est “au feu les pompiers” partout. On ne parle de nous que maintenant, parce qu’il y a la crise et qu’on peut y répondre. Mais on a alerté il y a longtemps sur les pénuries de médicaments. C’est là qu’ils auraient dû réagir. C’est vrai aussi pour les productions de masques ou les appareils respiratoires. Sans parler des tests, des médicaments, et des milliers de lits fermés.
Ils sont bloqués par leurs stratégies capitalistes. Tout est conditionné par les mêmes stratégies : ils veulent répondre à quelques intérêts privés, pas à ceux des travailleurs. J’ai vu le graphique de La Tribune des travailleurs : 99% aux banques / 1% pour les soignants (*). C’est bien ça leur plan.
C’est maintenant qu’ils doivent nous sauver, parce qu’au 3 juillet, les commandes s’arrêtent pour nous, et on ferme la production. Plus de médicaments. L’urgence, c’est de trouver un moyen de pérenniser le site. Aucun privé ne s’est positionné, c’est l’État qui devrait le faire ! C’est d’une importance majeure… qui existait déjà avant.
Il faudrait donc nationaliser l’entreprise ?
Il y a une chose pour garantir la poursuite des activités : des commandes. Or l’épidémie impose de passer des commandes à notre entreprise. Mais pour l’instant, on n’est pas maître des choses. Les donneurs d’ordre ce sont les gros groupes, les laboratoires pharmaceutiques.
Logiquement ce qui devrait être mis sur la table, c’est la nationalisation. Ça permet de continuer l’activité pour répondre à l’urgence, de maintenir les emplois, et de continuer nos autres productions sanitaires. En coulisses, ils travaillent plutôt sur les grands groupes. Mais si on ne veut pas continuer à compter nos morts par centaines, il faut maintenir l’outil industriel.
Propos recueillis par Grégoire – dimanche 29 mars 2020
(*) Lire La Tribune des travailleurs, n°232 page 8