Des rassemblements hebdomadaires sont organisés à Lyon en solidarité avec la mobilisation populaire au Chili – le prochain a lieu place Sathonay (Lyon 1er) ce dimanche 24 novembre de 14h à 18h. Sans partager nécessairement la totalité des points de vue qu’elles expriment, La Tribune des canuts donne la parole à de jeunes chiliennes qui figurent parmi leurs organisateurs de « Lyon soutient le Chili ».
La TC : Depuis plusieurs semaines, suite à la mobilisation au Chili, vous organisez un rassemblement chaque dimanche à Lyon. Vous y dénoncez en particulier la répression exercée par le gouvernement Piñera et vous reprenez aujourd’hui sur vos affiches l’exigence d’une assemblée constituante. Pourquoi ?
Les rassemblements ont commencé de manière spontanée, très peu après le début des mobilisations au Chili. Au départ cela nous a servi surtout comme une instance de consolation et de catharsis pour faire face aux nouvelles reçues du Chili. Mais rapidement nous avons compris le besoin de nous organiser, particulièrement compte-tenu de la réponse insatisfaisante du gouvernement et des actes de violence commis par la police contre les manifestants.
Depuis, nous nous donnons rendez-vous tous les dimanches pour plusieurs raisons.
D’abord, pour créer des moments pour nous rencontrer en tant que communauté chilienne à Lyon. Nous nous rendons compte que nous sommes beaucoup à nous sentir concernés par les événements au Chili malgré la distance et avons pu alors réaliser qu’ensemble nous sommes plus forts et que nous pouvons donc contribuer à la pression internationale dans tous les domaines où cela serait nécessaire.
Ensuite, une partie importante de cette pression internationale passe d’abord par l’information. Aussi nous considérons indispensable d’informer la communauté internationale sur la situation actuelle et de dénoncer les abus commis par la police et l’armée contre la population civile, d’autant plus quand les médias chiliens et étrangers restent silencieux sur la matière. La façon de procéder de l’armée et de la police a été à l’encontre des droits de l’Homme, ayant déjà comme conséquences – comme si l’histoire se répétait – des dizaines d’assassinés dans les rues, des milliers de personnes arrêtées et blessées (dont 217 pour des lésions oculaires, c’est-à-dire éborgnées ou rendues aveugles), et de centaines de plaintes contre la police pour meurtre, torture et viol, pour citer quelques exemples (source : Institut National des Droit de l’Homme [Chili]– INDH).
Enfin, les rassemblements ont pour but de montrer aux manifestants du Chili qu’ils ne sont pas seuls, qu’ils ont le soutien de la communauté chilienne à l’étranger dans le monde entier, qu’ils doivent garder espoir, ne pas baisser les bras et ne pas abandonner les rues tant que leurs, ou plutôt « nos », demandes ne seront pas écoutées.
« une nouvelle Constitution (…) devrait être élaborée
à partir d’une Assemblée constituante
avec un maximum de participation populaire »
A savoir, a) la démission ou, à défaut, la destitution du gouvernement, puisque nous considérons que le président et son ministre de l’intérieur sont directement responsables pour les atteintes aux droits de l’Homme. Eux, en tant que représentants élus en démocratie, ont franchi la barrière de la légalité avec la répression sans mesure et le non-respect du droit à la manifestation sociale ; b) que les responsables politiques et les agents responsables de ces crimes (directeur de la Police Militarisé) répondent de leurs actes devant la justice ; c) des mesures législatives effectives et immédiates pour résoudre les problèmes les plus urgents et qui ne sont pas directement régis par la Constitution ; d) et une nouvelle Constitution qui remplace celle rédigée pendant la Dictature de Pinochet, laquelle devrait être élaborée à partir d’une Assemblée Constituante avec un maximum de participation populaire, et non pas contrôlée par les partis politiques.
Parce qu’un pays dit démocratique ne peut pas avoir une Constitution issue d’une dictature militaire et meurtrière, et reconnue comme telle au niveau international. Celle-ci est une contradiction flagrante, dont les conséquences sont évidentes aujourd’hui à la lumière des faits décrits précédemment.
Nous reprenons alors les demandes exprimées par le peuple chilien mobilisé et nous y adhérons bien évidement en tant que chiliens à l’étranger.
Il y a quelques jours, le gouvernement Piñera a passé un accord avec la plupart des forces politiques – dont le PS et le Frente Amplio – pour un référendum dans six mois qui ouvrirait la voie à la réécriture de la constitution [lire à ce sujet La Tribune des travailleurs]. Plusieurs organisations comme le PC ou Unidad Social ont, elles, rejeté cet accord. Qu’en pensez-vous ?
Il est vrai que cet accord représente une avancée par rapport à ce à quoi on pouvait s’attendre il y a un mois, dans la mesure où il établit une procédure pour élaborer une nouvelle Constitution à partir de zéro ; et non juste des réformes (peu profondes en générale) à la Constitution en vigueur, comme il avait été fait depuis la fin de la dictature et reproposé ces dernières semaines.
Cependant, il n’a pas été exempt de polémique puisqu’il consigne certaines conditions qui limitent l’influence effective de la souveraineté populaire, ce que finit par exclure la population des instances de décision.
Parmi les clauses qui ont été matière à discussion se trouvent, en premier lieu, l’exigence d’un quorum des 2/3 pour approuver les accords de la Convention constitutionnelle, lequel permet qu’une minorité puisse opposer son veto aux accords actés par la majorité, et bloquer ainsi les réformes les plus profondes.
Deuxièmement, le fait que les partis politiques puissent présenter des candidats pour faire partie de la Convention constitutionnelle. Ce point a été remis en question, d’abord, parce qu’il s’agit des partis politiques qui ont majoritairement perdu la confiance des citoyens, de droite comme de gauche ; mais aussi parce que cela met en péril la représentativité des différents secteurs sociaux.
D’autre part, l’accord consigne la création d’une commission technique chargée de superviser tout le processus, laquelle serait, encore une fois, intégrée par des représentants désignés par les partis politiques signataires. Ce qu’implique l’exclusion des représentants des partis politiques qui n’ont pas signé l’accord ainsi que du peuple.
Et finalement, le fait qu’ils aient ignoré le contexte meurtrier actuel et n’aient pas condamné la violence de l’État ni les crimes perpétrés contre les citoyens depuis le 18 octobre.
Comment aller vers une issue favorable à la population ? Et comment comptez-vous y contribuer ici en France ?
En attendant de pouvoir élargir notre domaine d’action, nous avons jusqu’à présent concentré nos efforts autour de trois axes principaux :
1) Dénoncer internationalement la situation chilienne, à savoir la violation des Droits de l’Homme, qui continuent à ce jour, et ce malgré la signature et l’annonce de « l’Accord pour la paix et nouvelle Constitution ».
2) Le déroulement d’assemblées ouvertes à tous les chiliens à Lyon et aux alentours afin de délibérer des stratégies d’actions collectives : manifestations publiques, protestations urbaines et élaboration de documents écrits destinés aux différentes organisations pouvant être concernées et aux médias internationaux. Par ailleurs, ces assemblées populaires sont déjà mises en place au Chili depuis un mois. En tant qu’espace de débat social et politique, elles visent à contribuer à l’élaboration de propositions politiques concrètes. Cela est reproduit parmi les communautés chiliennes à l’étranger, et ici en France, nous ne serons pas à l’écart de cette pratique.
3) Finalement, et malgré nos appréhensions vis-à-vis d’un éventuel référendum, nous considérons essentiel notre engagement en tant qu’électeurs. Dans cet objectif nous avons établi de voies de communication et d’information par rapport aux procédures nécessaires pour rendre possible une participation aussi large que possible des ressortissants à Lyon.
Propos recueillis par GC suite au rassemblement du 17 novembre 2019